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8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 1
Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
R. Bocquet, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
B. Chrzanowski, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
S. Pereira Lopez, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
P. Favre Taillaz, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
A. Mirdjalali, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
C. Perrot, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
Dr Velasco, Secteur 3, CH Ste-Anne, Paris
« Famille de naissance. Renaissance en famille. »
Nous avons choisi de vous présenter notre travail de réflexion autour d’un
aspect, à notre avis, peu élaboré, de notre pratique. Il s’agit du caractère
spéculaire, en miroir, du lien qui peut exister entre le patient et la famille d’accueil.
Nous verrons comment, de prime abord, ceci est en lien avec son rapport avec sa
famille d’origine mais, surtout, avec le lien que le sujet entretient avec sa propre
structure psychique. C’est un travail en cours de réflexion que nous vous présentons
dans cet atelier, non-fini, et, pourrait-on dire, infini ? C’est donc une chance de
pouvoir réfléchir ce matin à côté d’une équipe qui est confronté au même problème
que nous.
Le cas que nous avons choisi d’exposer, avec les modifications qu’impose
l’anonymat, est celui d’une femme qui vit dans une famille d’accueil depuis plus de
deux ans, après un long parcours de vie institutionnelle de plus de vingt ans. C’est
donc, un de ces cas de patients que l’on appelle chroniques, autant par sa pathologie,
une psychose déclenchée à l’enfance, que par quelques stigmates institutionnels.
C’est une femme qui, depuis que nous la connaissons, s’exprime peu. Elle ne donne pas
facilement de détails sur sa vie passée, bien moins, certainement, qu’avec sa
thérapeute qu’elle voit une fois par semaine. Elle s’exprime donc souvent sur la
forme de plaintes somatiques répétées, ou bien en se focalisant sur certains
passages douloureux de sa vie.
Alors, pour des patients comme elle, l’AFT peut s’avérer d’une grande
richesse clinique puisque nous assistons à ce que l’on peut appeler une clinique en
situation relationnelle, ce qui peut nous apporter des éléments essentiels à la
compréhension du cas et peaufiner, ainsi, notre travail.
En effet, à différence des entretiens psychiatriques classiques,
l’accompagnement de cette femme dans un AFT, nous donne l’opportunité
d’observer le mode relationnel que le patient établit avec le monde à travers cet
« échantillon », morcelé, qui représente la famille d’accueil pour un patient.
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Equipe AFT Secteur 3, CH Sainte-Anne, « Famille de naissance. Renaissance en famille ! »
Ce rapport transférentiel nous renseigne aussi sur un rapport plus large, avec
l’Autre, ce qui inclut, bien entendu, sa propre famille d’origine. Lorsque nous
engageons un travail avec la famille du patient, quel que soit le nombre des
personnes qui assistent, nous convoquons un signifiant très particulier, La Famille,
lui-même présent dans l’esprit du patient dès lors que nous parlons d’un projet de
vie dans une famille d’accueil.
C’est donc une hypothèse qui pourrait se résumer ainsi : le lien qui s’établit
entre un patient et la famille d’accueil se fonde, en partie, sur un rapport
spéculaire. Ce rapport à un double rend compte de certaines difficultés que nous
rencontrons dans des prises en charge en AFT et n’est pas étranger au rapport que
le patient a établi avec sa propre famille. Mais, au-delà de ce rapport c’est le type
de rapport que le patient entretien avec lui même à travers ce double miroir aux
contours flous constitué par la famille d’origine et la famille d’accueil.
Cas Clinique :
Le cas dont je vais vous parler est celui de Mlle V, qui est l’aînée d’une fratrie
de deux sœurs. Leur mère, institutrice de profession, est décédé à l’age de 55 ans
dans une déchéance sociale majeure. Le père, agent commercial, est qualifié par
Mlle. V, comme un fou paranoïaque, maltraitant et dangereux, aussi bien pour elle
que pour sa mère. Peu d’éléments nous sont connus de lui. Il se serait suicidé,
apparemment.
Dans la génération des grands parents, on trouve des figures de proue du
mouvement psychanalytique français du XXe siècle, ce qui a permis à Mlle V. de
bénéficier de soins attentifs et diversifiés, avec des mesures spécialisées et des
mesures éducatives multiples (cours privés de langues, piano, danse, etc.). Or, Mlle
V garde un souvenir très nuancé de tous ces efforts familiaux. Elle se vante d’avoir
quelques mots dans d’autres langues, mais elle pense que tout cela l’a mis dans une
position d’objet que l’on gave sans cesse. Et c’est bien une des choses qu’elle
redoute le plus : être trop gâté par la dame d’accueil. Nous pouvons voir les
difficultés d’un sujet lorsqu’il est pris complètement pris en charge par sa famille.
Un événement familial précoce est venu marquer cette femme et sa famille.
C’est un moment où co-incident différents aspects. La naissance de sa petite sœur
survient au même moment que l’on découvre l’existence d’une relation
extraconjugale du père ainsi que la naissance d’un enfant de cette relation, le tout
donnant lieu à une séparation des parents.
Le récit familial donne l’image d’une Mlle. V. comme «un bébé géniale » jusqu’à
l’age de 18 mois, moment de la naissance de sa sœur. Les premiers mouvements
agressifs commencent lorsque Mlle. V. essaie de frapper le ventre de sa mère
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enceinte. Cette agressivité augmente après la naissance sans que l’émergence de la
parole ne soit au rendez-vous. En effet, agressivité et mutisme ont caractérisé
l’enfance de Mlle. V., qui dit n’avoir commencé à s’exprimer que vers l’age de 11 ans.
À sa place, des gestes agressifs inquiétants car répétés qui sont restés comme des
composants fondamentaux des griefs que la sœur lui adresse et qui renvoient à un
acte pour le moins étonnant : un jour, au moment du déjeuner, Mlle V. a pris un
couteau et a essayé de « tuer l’ombre de sa sœur ».
Arrêtons-nous quelques instants pour commenter cet acte agressif, à la
lumière des travaux de deux psychanalystes : Otto Rank et Jacques Lacan.
Otto Rank, psychanalyste contemporain de Freud, a écrit un remarquable
travail sur la question du double publié en 1914, où il explore ses multiples
interprétations possibles. À partir des éléments littéraires, mythologiques et
cliniques, Otto Rank fait une analyse sur le mode de rapport que l’être humain
établit avec son Moi devenu indépendant à travers la figure d’un double1. Pour Rank,
l’ombre d’une personne était, dans un monisme primitif, la première tentative de
l’homme pour situer son âme. Cette croyance évolua à travers le temps avec une
opposition dualiste entre l’être et son ombre qui devint la partie obscure de
l’individu. Dans son analyse sur les exemples de la littérature Rank étudie, parmi
d’autres, l’œuvre de grands auteurs connus : Hoffmann, (L’Histoire du reflet perdu,
Les élixirs du diable, Le double), ou bien celle de Goethe, (Fiction et vérité), de
Maupassant, (Le Horla) Dostoïevski, (Le Double), Wilde (Le portrait de Dorian
Gray). Il devient claire à la lecture de cette analyse, que le double devient
fréquemment un persécuteur indéfectible pour les personnages et c’est bien l’une
des difficultés de notre pratique, facilement mis en évidence chez des sujets
paranoïaques.
Otto Rank dessine un grand nombre de pistes d’étude de la problématique du
double : Il évoque la division de la personnalité2. Mais il évoque aussi « La
superstition qui a rapport à la renaissance du père dans le fils » chez les Zoulous3.
Plus encore, chez les Chrétiens, l’idée l’existence d’un ange et son rival le diable,
figures de vie et de mort, montrent déjà une intuition concernant l’origine double de
ces productions dans les individus,4 une hypothèse qui fit le lit des variantes
religieuses dualistes. Enfin, sans pouvoir faire une liste exhaustive de ses
réflexions, disons que dans le double gisent, pour Rank, des aspects les plus variés
1
Rank O., Don Juan et le Double, Payot, Paris 1973, p. 17
2
Idem, p. 55
3
Idem, p. 60
4
Idem, p. 72,73
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comme l’amour narcissique,5 la crainte et le culte des jumeaux6, dans l’amour et la
haine de l’autre,7 et la punition auto infligée à travers des mythes aussi répandus
dès nos jours que celui du diable.8
Dans une ligne plus clairement clinique, Jacques Lacan a décrit dans son
article sur Le stade du Miroir, publié en 1938 la fonction à jamais constituante et
aliénante de la figure spéculaire du double9. Dans la psychose, là où le je doit
advenir, le Moi reste figé et conflue vers lui le rapport du sujet au monde. Il a
ensuite abordé cet aspect dans son Séminaire III sur Les psychoses en décrivant
avec précision les effets de capture imaginaire dans lequel se trouve le sujet
psychotique face à un semblable qui occupe la place d’un double, ce qui est repérable
dans notre clinique quotidienne. La capture imaginaire n’est pas prévaut sur l’axe
symbolique qui, lui, ne produit pas les effets de distanciation avec l’autre.
L’agressivité est alors l’une des conséquences parmi d’autres de ce seul mode de
rapport.
Or, c’est bien dans cet axe qui se trouvent les deux sœurs ce qui est
manifeste dès qu’on les réunit dans un même espace. Tout en vantant la beauté de
sa petite sœur, Mlle. V. devient agressive en actes envers sa sœur. Celle-ci, à un
degré moindre, mais aussi présent, adresse ses griefs et, dans un élan d’enrichir les
éléments biographiques, corrige sans cesse la version de sa sœur. C’est bien l’une
des conséquences de la forclusion du Nom du Père qui pose de problèmes à Mlle. V.
Ne disposant pas d’un signifiant clé de voûte du registre symbolique, elle se place
souvent sur le registre imaginaire, où le double devient le support de prédilection.
Je cite Lacan : « Dans la mesure où le rapport reste sur le plan imaginaire, duel et
démesuré, il n’a pas de signification d’exclusion réciproque que comporte
l’affrontement spéculaire, mais l’autre fonction qui est celle de la capture
imaginaire ».10 L’autre devient un double pour le sujet.
Si l’on prend en compte l’apport de Rank et de Lacan, le double de l’ombre de
la sœur que Mlle. V. a voulu tuer représente une image qui, en partie, la constitue
elle-même. C’est un double du double. C’est un autre et en même temps c’est elle-
même. C’est une prothèse imaginaire là où le symbolique, la parole, fait défaut.
5
Idem p. 75
6
Idem p. 89
7
Idem, p. 109,110
8
Idem, p. 115
9
Lacan, J., Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, in Ecrits, Seuil, Paris 1966,
p. 93
10
Lacan, J. Le séminaire, livre III, Les psychoses, Seuil, Paris 1981, p. 230,231.
8ème congrès du GREPFA France, Paris (29-30 mai 2008) 5
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Mlle. V. se positionne souvent dans ce même registre lorsqu’il s’agit de décrire
son lien avec la dame d’accueil. Il n’est pas question, là, d’actes agressifs envers
celle-ci, mais bien d’une ambivalence majeure. Dans ce rapport, sont convoqués à la
fois le versant imaginaire mais aussi la réaction d’opposition à toute tentative d’être
trop gâtée par la dame d’accueil. C’est une crainte de se retrouver dans la position
qu’elle a occupée pendant une bonne partie de sa vie. Mlle. V. confirme ses craintes
lorsqu’elle nous dit avoir une méfiance envers l’Autre qu’elle qu’elle décrit comme
hostile et carnivore. Et c’est là qui gisent nos efforts, dans la position prise par
l’équipe lors de son accompagnement dans le dispositif d’AFT. Or, c’est une position
qui ne peut pas être une figée. Elle évolue au gré des variations fréquentes dans le
lien entre Mlle. V. et la dame d’accueil. Parfois notre position peut être comparé à
celle d’un arbitre qui doit prendre en compte des règles et des limites sans oublier
que des nuances sont à porter constamment dans le cadre complexe de l’AFT. Les
limites ne sont pas toujours à mettre du côté du patient. Les bonnes intentions
voire la compassion de la dame d’accueil peuvent mettre Mlle. V. dans une position
inconfortable qui la pousse à l’étouffement et, ainsi, à la colère. Aussi, l’un des
efforts sans cesse renouvelés consiste à inviter la dame d’accueil à ne pas se situer
sur le même registre spéculaire de la relation, ce qui n’est pas chose aisée,
notamment lorsque Mll. V. lui adresse ses doléances ou des reproches.
Le propre de la clinique, c’est de nous apprendre au cas par cas, et ces
réflexions qui nous orientent dans notre accompagnement du cas peuvent ne pas
être généralisés. Par ailleurs, nous aurons pu ouvrir des multiples tentatives
d’élaboration psychopathologique, et peut-être cela nous permettrait d’avoir une
élucidation majeure du cas. Nous pourrons éventuellement en parler dans la
discussion qui va suivre. Mais, pour étayer l’hypothèse initiale nous en resterons là
pour l’instant.
Il reste, pourtant, à évoquer ce que nous a apporté des entretiens familiaux
engagés depuis 6 mois, ainsi que d’éclairer le titre de notre exposé qui pourrait
rester, sinon, un peu trop romantique.
Cela n’était pas la première fois que des entretiens avec la famille d’origine
étaient engagés. En 1999, l’équipe de l’intra-hospitalier avait déjà commencé ce type
de travail avec des résultats très positifs au début. Les observations faites
rendent compte d’un recueil d’éléments biographiques importants. Mais, au bout des
3 séances l’agressivité verbale et physique de Mlle. V. envers sa sœur ont rendu
impossible la poursuite du travail.
Les entretiens que nous avons engagés avec la famille, qui était resté très en
retrait jusqu’alors, ont eu une évolution similaire. Ceci nous a permis de prendre
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conscience du grand attachement spéculaire qui relie la patiente à sa sœur, avec
des propos mielleux mais des actes agressifs. D’une manière plus large, nous avons
constaté que l’agressivité souvent réciproque, est souvent compréhensible vue les
antécédents mais elle l’est aussi par un autre biais. L’agressivité qui s’exprime
comme nous le savons de différentes manières a deux origines différentes selon
qu’il s’agisse de Mlle. V. ou de sa famille. Pour la première, il s’agit d’une capture
imaginaire structurale, psychotique. Pour la deuxième, il s’agit d’un retour du refoulé
qui accompagne les griefs qui ne cessent de faire irruption. Pouvoir identifier
l’origine différente d’un même symptôme peut s’avérer utile lorsqu’il s’agit de
remanier le cadre, et c’est l’un des bénéfices de ce travail avec la famille d’origine.
En effet, c’est ainsi que nous avons été conduits à re-évaluer récemment le
cadre. Nous avons interrompu, pour l’instant, les entretiens familiaux où se
retrouvent ensemble la patiente et sa famille. Recevoir la patiente dans un premier
temps puis la famille dans un deuxième temps fut l’aménagement le plus adapté pour
nous. Cela nous a permis de poursuivre le recueil d’éléments biographiques et, ainsi,
de mettre Mlle. V. dans une perspective historique diachronique inexistante
jusqu’alors. En effet, les éléments de vie dont la patiente ne peut pas rendre
compte nous sont apportés par la famille sans les mettre dans un face à face. Mais,
et c’est là, un des bénéfices de ce travail avec la famille des patients chroniques,
Mlle. V. est réintégrée dans une histoire, avec un passé, et un avenir à construire.
Si la famille d’accueil représente une réelle chance de fonder un avenir digne
pour un patient aussi handicapé, c’est grâce à la mise en perspective historique que
nous pourrons réussir. La famille de Mlle. V. est, ainsi d’une grande aide pour nous,
car elle vient palier le manque de précisions biographiques de ce qu’a vécu, et que
continue à vivre, Mlle. V. nous a fait part récemment de la place à laquelle elle nous
met lorsqu’elle s’adresse à Mme. Mirdjalali, psychologue de notre unité : « Mme.
Duplicata prenez ma défense ». Cette identification vaut autant pour la demande
de positionnement qu’elle nous adresse en tant qu’équipe. Mais cela représente
aussi, comme nous l’avons vu avec cet exposé, une mise en garde pour la suite de
notre accompagnement des risques encourus à se placer dans cette place de double.
Là où prédomine l’imaginaire, nous devons déplacer le rapport sur un autre registre
afin d’éviter le piège que le double nous offre.
Renaissance en famille est autant une nouvelle vie dans une famille d’accueil
que le long et difficile processus pour retrouver une place dans sa famille de
naissance et dans son histoire.
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