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7ème congrès du GREPFA France, Les Sables d’Olonne (15-16 juin 2006) 1
L. PIERQUIN, J. HENON, J. BAA, Dr L. MAHIER
Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Laurent Pierquin1
Julie Henon2
Joëlle Baa3,
Dr Lionel Mahier4
AXE n°2 « DIVERSITE DES ENVELOPPES »
CA COMMENCE PAR UN « E », CA FINIT PAR UN « E »,
AVEC UNE LETTRE A L’INTERIEUR.
(Une typographie différenciée a été choisie afin de rendre à
chacun des intervenants leurs propos et leur forme)
Anthony est, actuellement, un jeune garçon âgé de 9 ans (né le 22/04/97). Nous
l’avons connu alors qu’il était âgé de 5 ans et demi. Sa mère avait sollicité le
CMPP, sur les conseils de l’éducatrice de l’AEMO, à cause des troubles du
comportement et de l’énurésie d’Anthony.
L’histoire de cet enfant est très chaotique et fait écho à l’histoire de la mère,
elle-même marquée par une suite de ruptures et de séparations intempestives.
Histoire d’Anthony :
Il vit ses premières années avec sa mère et son père, la famille étant hébergée
chez les grands-parents paternels. La mère d’Anthony rapporte de cette période
des souvenirs pénibles : elle dit avoir été quasi séquestrée dans sa chambre,
reléguée par sa belle-famille, vivant enfermée dans une petite chambre avec son
fils, sans communication avec l’extérieur.
Alors qu’Anthony est âgé de 2 ans et demi, la mère sollicite les services de l’aide
sociale à l’enfance. A la suite d’une altercation plus violente que d’habitude entre
la mère d’Anthony et le grand père paternel, une décision de placement, en
internat, dans une Maison d’enfant à caractère social de la région, est prise par
le Juge des enfants. Ce placement durera environ deux ans. La directrice du
1
Psychologue, Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
2
Assistante sociale, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
3
Directrice pédagogique, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial spécialisé et
thérapeutique de Creil.
4
Psychiatre, médecin directeur, , Centre de consultation et de cure ambulatoire, équipe d’accueil familial
spécialisé et thérapeutique de Creil.
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
centre se souvient d’un enfant agréable, bien intégré et facilement pris en
charge par les autres dans la mesure où il était le plus jeune pensionnaire de
l’institution. Elle note, cependant, les difficultés constantes d’Anthony au
moment de l’endormissement et son besoin d’être réassuré par la présence d’un
adulte. Elle se souvient de la relation d’Anthony à sa mère, relation marquée par
l’agressivité de l’enfant à l’encontre de sa maman. Cette période sera marquée,
durant le séjour de l’enfant dans l’établissement, par un abus sexuel dont
Anthony aurait été victime, de la part d’un enfant plus âgé (novembre 2000).
Anthony sortira de l’établissement, après mesure de main levée de l’OPP, en juin
2001.
A son retour, Anthony sera accueilli par sa mère, qui aura, depuis, quitté le père
pour vivre avec un Monsieur dont elle aura un autre fils (en février 01). Le retour
d’Anthony dans le foyer familial est difficile. Peu à peu, Anthony manifeste des
troubles du comportement, à type d’agitation, d’agressivité reprennent et c’est
dans ce contexte que la mère nous sollicite.
Histoire de la mère d’Anthony.
Mme D a développé avec nous une relation marquée par une confiance prudente.
Elle nous fera part de certains des éléments d’une vie qu’elle disait marquée par
la souffrance.
Orpheline dès la toute petite enfance (meurtre de la mère par le père), elle a
d’abord été placée en foyer avant d’être accueillie par une famille en vue d’une
adoption qui ne s’est jamais réalisée. D’après elle, la famille d’accueil la traitait
mal. Suit, à l’adolescence, une période d’instabilité et d’errance au cours de
laquelle elle a probablement contracté un comportement d’addiction (alcool,
tabac et peut-être substances stupéfiantes). Elle dit avoir toujours eu une très
mauvaise opinion d’elle-même, jusqu’à manifester une véritable phobie sociale.
Dans les premiers temps, elle ne pouvait se rendre aux consultations
qu’accompagnée d’une voisine ou de l’une de ses filles aînées.
Elle a eu 5 enfants de trois unions différentes :
D’une première union, 2 filles et un garçon : la plus jeune de ces filles
ayant été elle-même placée dans le même établissement qu’Anthony ;
D’une deuxième union, Anthony ;
D’une troisième, Jordan actuellement âgé de 5 ans (né le 02/02/01).
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PC au CMPP et évolution
Lors des premières consultations, Mme D se plaint de ne plus savoir faire face au
comportement d’Anthony : il se montre agressif, agité, pris de « crises » au
cours desquelles il peut avoir un comportement particulièrement brutal, tournant
sa violence vers les autres mais surtout sur lui-même (peut se mettre
brusquement à courir et à se jeter avec violence sur un mur, dans ces périodes
d’agitation non maîtrisable).
Nous avons été témoins à plusieurs reprises de ces manifestations
paroxystiques. Se joue alors entre Anthony et son interlocuteur une relation
extrêmement déstabilisante où l’autre est mis en demeure d’être le spectateur
captif de ses actes transgressifs, violents et fous. Toute intervention ne fait
qu’accroître la jouissance que semble prendre Anthony à cette perversion des
règles sociales.
Impossible de ne pas rapporter ce comportement à ce qui avait été perçu de
l’agressivité inhérente aux rapports d’Anthony à sa mère, et ce depuis son plus
jeune âge, comme en témoigne la mère, se disant elle-même mauvaise, incapable
d’amour, et comme en témoigne d’Anthony (« Quand tu mourras, j’irai chez ma
grande sœur, t’es une patate pourrie, maman pas belle, je t’aime pas »).
Il est alors décidé de mettre en place des soins associant aux consultations avec
la mère et l’enfant et participation à deux petits groupes thérapeutiques.
A partir de janvier 2005, le consultant proposera également de le rencontrer
seul, régulièrement, dans ce qui pourrait être qualifié d’accompagnement
psychothérapeutique puis de lui proposer un travail de psycho-pédagogie
individuel. On reviendra plus avant sur ces indications de soins qui feront suite à
des évènements particulièrement difficiles.
L’admission au service d’accueil familial
Depuis les premières consultations la mère d’Anthony se plaint du comportement
de ce dernier, symptôme qui avait motivé la demande de soins. L’amélioration
constatée durant quelques mois ne perdure pas et la mère d’Anthony finit par
demander elle-même une aide sous forme d’un hébergement de semaine de son
fils. Nous proposons l’accueil familial thérapeutique qu’elle accepte (juin 2004).
Son caractère partiel, le maintien des responsabilités parentales, l’assurance que
l’assistante maternelle ne pourra se substituer à elle, le fait qu’elle pourra y
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mettre fin dès qu’elle le décidera, sont autant d’arguments qui lèvent les
réserves que l’intense culpabilité d’une première mesure de placement avaient
fait naître.
Deux mots quant à notre pratique d’accueil familial
LE FONCTIONNEMENT DU SERVICE D’ACCUEIL FAMILIAL
Par JULIE Henon
Nous allons vous présenter plus largement le fonctionnement du Service
d’Accueil Familial afin de vous éclairer davantage sur nos pratiques mais également
pour comprendre ce qu’Anthony et sa mère ont accepté lorsqu’ils se sont engagés dans
cette démarche.
Notre équipe
Nous sommes un service constitué de techniciens d’Accueil Familial de diverses
professions. Ainsi, on y trouve :
Un éducateur spécialisé
Une secrétaire administrative
Deux psychologues
Deux assistantes de service social
Le Médecin Directeur du CMPP qui est également représentant de ce
service
Cette équipe a un rôle d’intermédiaire entre les parents et la famille d’accueil
afin d’assurer un lien entre les différents temps de vie de la personne accueillie.
Nous essayons donc, dans notre travail au quotidien, de garantir la circulation de
la parole.
Nous intervenons par binôme auprès des situations et, nous avons une réunion de
service qui se tient une fois par semaine où nous échangeons ensemble autour des
accueils en cours.
Ce lieu institutionnel indispensable nous permet aujourd’hui d’affirmer que dans
nos pratiques, la référence, c’est l’équipe !!!
L’Accueil Familial tels que nous le pratiquons
Pour nous, le caractère thérapeutique du placement passe avant tout par le fait
qu’il suppose l’engagement actif des parents (ou des responsables légaux) et de l’enfant,
et qu’il ne peut, par principe, se substituer à des parents perçus comme « défaillants ».
L’indication de l’accueil familial est une proposition de travail qui vise à
réaménager les relations familiales de la personne accueillie, s’inscrivant dans un projet
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plus global de traitement de ses difficultés psychiques et de l’élaboration de son
processus d’individuation.
L’objectif premier de ce mode de soins est donc de proposer à l’enfant un espace
nouveau dans lequel il puisse révéler d’autres aspects de lui-même et de faire que cet
espace s’articule de façon institutionnalisée avec les autres espaces que l’enfant
fréquente (domicile familial, école, institution médico-sociale ).
Dans ce sens, l’assistante familiale qui se voit proposer l’accueil d’un enfant
n’aura aucune information sur celui-ci si ce n’est son prénom et son âge.
L’accueil familial est également un soutien à la parentalité et un temps
d’éducation construit avec les parents. Les parents sont et restent les premiers
éducateurs de l’enfant. Ils restent à l’origine de toutes les décisions importantes
concernant la vie de leur enfant. Ils continuent d’assurer les soins réguliers, le suivi de la
scolarité
La partielisation des accueils que nous proposons et le fait que les parents
décident avec leur enfant de la fin de l’accueil, garanti ce principe de fonctionnement.
Au cours de l’accueil d’un enfant, l’équipe de l’accueil familial occupe donc une
place de tiers obligé de toutes les relations entre parents et famille d’accueil.
Il est ainsi demandé aux parents et à la famille d’accueil de se garder de contacts
directs et indirects en dehors des temps initiaux de rencontre. Une seule rencontre aura
lieu entre eux, avant le premier temps d’accueil de l’enfant chez l’assistante familiale et
ce, pour pouvoir poser un visage sur un nom, travailler à minima son angoisse, échanger
des informations dites pratiques.
Ce principe de soins se concrétise aussi dans la conduite de la cure par des
rencontres régulières et rythmées entre les uns et les autres. En effet, des entretiens sont
mis en place :
Entre la personne accueillie elle-même et les référents,
Entre les parents de la personne accueillie et les référents,
Entre l’assistante familiale et les référents,
Où chacun est invité au travers de ses récits à restituer ce qui s’y passe.
Le service dispose également d’une permanence d’écoute sous forme d’astreinte
téléphonique permettant la transmission d’informations utiles par le biais du service, en
dehors des heures d’ouverture de CMPP.
Ces conditions d’accueil dans le service, claires dans leur principe, ont été
favorablement perçues par la mère. On peut penser qu’elles respectaient
également la profonde ambivalence, en retour, des sentiments d’Anthony pour sa
mère, qu’on pourrait qualifier par ce quasi oxymore « d’attachement haineux ».
De fait, Anthony saura nous rappeler que sa mère restait sa mère, que
l’assistante maternelle ne pouvait prétendre à ce rôle, qu’il nous était échu, à
nous, les adultes de garantir les limites assignées aux différentes places, à la
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sienne en premier lieu mais également à celle des autres. La suite montrera à
quel point cette insistance était nécessaire.
De juin à septembre octobre 2004, l’accueil d’Anthony s’engage de façon
relativement satisfaisante. Au domicile de la famille d’accueil, les choses se
passent bien. L’entrée dans la nouvelle école se déroule relativement
correctement.
Nous recevons régulièrement Anthony et sa mère durant cette période. Celle-ci
se plaint que, si elle peut se réjouir du fait que les difficultés d’Anthony soient
moindres durant le séjour en famille d’accueil, elle constate qu’à la maison le
comportement d’Anthony reste toujours aussi difficile. Elle nous informe
également de l’aggravation de sa maladie qu’elle nous avait dit stabilisée quelques
mois auparavant.
De fait, très vite, l’état de Mme D va se détériorer : après une phase où elle
peut se déplacer très difficilement et seulement accompagnée d’une tierce
personne et durant laquelle elle ne peut plus s’exprimer oralement (extinction
totale de voix qui nous oblige à recourir, pendant les entretiens, au dialogue
écrit), Mme D doit être hospitalisée.
Nous maintiendrons le contact durant ce temps d’hospitalisation, en allant lui
rendre visite régulièrement ou en organisant les visites de son fils. Celles-ci se
passent mal. L’atmosphère de l’hôpital, une ambiance morbide (Mme D. ne cache
pas qu’elle va mourir) dans un lieu inaffectivé, provoque, chez Anthony, des
réactions d’agitation, de dérision. Les quelques visites à son jeune frère se
déroulent dans une ambiance tendue. Il est mal accueilli, tant les personnes de la
famille sont dans l’espoir d’une résolution heureuse, dans la crainte d’un
dénouement tragique.
Mme D. décède au début du mois de janvier 2005. Nous nous coordonnerons avec
les services sociaux afin qu’Anthony puisse assister aux funérailles de sa mère.
On notera que, durant toute cette période, Anthony ne fera preuve d’aucune
émotion marquée : pas de pleurs, pas de plainte, juste cette agitation critique,
cette dérision devant les « petites » douleurs de ce monde.
Après la mort
Dès l’annonce de la gravité de la maladie, nous nous étions concertés avec les
services sociaux de proximité pour envisager l’avenir d’Anthony en prévision de la
disparition probable de sa maman. Nous avions tenu à en informer les services de
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l’aide sociale à l’enfance afin qu’un relais puisse être préparé. Il s’agissait de ne
pas laisser Anthony seul, sans repère, face à ce manque. Il était important que
notre service d’accueil familial, que la famille d’accueil, elle-même, ne soit pas
amenée à jouer ce rôle de substitution affective, artificielle et sans avenir, que
nous avions jusqu’ici évité qu’elle soit. Nous regrettons de ne pas avoir été
suffisamment suivis dans notre projet. Il aura fallu des mois pour que les
responsables de l’ASE mettent en place le cadre législatif qui permette de
donner à Anthony les substituts institutionnels aux repères symboliques naturels
disparus. Les services sociaux de proximité ont été heureusement mis à
contribution : demande à l’AS de rencontrer le père d’Anthony afin d’évaluer son
souhait et ses capacités à assurer l’éducation de son fils, désignation d’une
éducatrice chargée d’assurer l’accompagnement éducatif et social de l’enfant.
Finalement, le père se déchargera de ses responsabilités en confiant à l’ASE la
délégation d’autorité parentale. Depuis, les choses ont évolué, la grande sœur,
récemment maman, s’est portée volontaire pour assurer la responsabilité
éducative de son frère, en demandant à être désignée tiers digne de confiance.
Ce qui a été décidé par le JDE en mai dernier.
Se raccrocher aux mailles du filet :
Nous intervenons dans ce congrès comme le coucou dans un nid, car, d’enveloppe,
cette histoire n’en parle que de façon « symbolique », comme on le verra en
conclusion de cette intervention.
Anthony est arrivé trop vieux déjà. Les enveloppes étaient bien déchirées, elles
ne protégeaient plus beaucoup, ou alors comme la tunique de Nessus, piège
brûlant et irritant jusqu’à ce qu’on ne voie plus la mort que comme une délivrance.
Quelque chose semble effectivement près de mourir dans la vie psychique de ce
petit garçon. Nous avons tenté de rattraper quelques germes, ou plutôt évité
qu’ils s’assèchent définitivement. Ce combat pour une vie psychique sera illustré
par :
Une chronique de l’AFT depuis les vacances d’été 2005
Une séance de consultation individuelle
Une séance de psycho-pédagogie
Retour de grandes vacances.
Par Laurent Pierquin
Anthony répond il devient insolent. Le matin il ne veut plus aller à l’école. Les
fourniture disparaissent très vite .La trousse est déchirée. Les vêtements idem. Et il a
dit : -je ne veux plus rester ici. Avant de partir, il n’était pas comme ça.
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Voici ce que rapporte l’assistante familiale en septembre 2006, et que nous reprenons
sous
Deux angles.
Le premier autour de la première rentrée scolaire pour Anthony depuis le décès de sa
maman. La première fois pour lui que face à cette nouveauté souvent angoissante que
constitue l’arrivée dans une nouvelle classe, il se retrouve seul, pas tout à fait bien sur
mais sans le soutient que sa mère avait pu lui apporter jusqu'à présent.
Le second angle de lecture, autour de l’expérience faite par Anthony, pour la première
fois depuis son arrivée chez l’assistante familiale et encore plus depuis le décès de sa
maman, d’avoir passé un temps, pendant les grandes vacances, chez une autre assistante
familiale. En effet, celle qui l’a reçu depuis son arrivée à l’accueil, a pris des congés, a
pris ses congés. Et c’est alors tout le cadre qui se rappelle à Anthony. Tous ce qui redit
qu’il n’est la «que » dans le contexte d’un travail, d’une situation transitoire. Qui
rappelle que la femme qui l’accueil, n’est « que » comme une maman, sans pouvoir
jamais la remplacer.
Quelques semaines plus tard, C’est Florence Langlois du CMS de Creil qui nous
informe que Anthony s’est plein auprès de sa sœur et de son beau père, de mauvais
traitements chez son assistante familiale.
Quelle réalité ? Quel danger ?
Nous proposons alors un rendez vous à Anthony seul afin qu’il puisse s’exprimer sur ce
sujet. Et pour se garder de créer une situation par trop étonnante, nous proposons à
l’assistante familiale de la recevoir la semaine suivante avec Anthony. Sans savoir à ce
moment ce que nous pourrons reprendre de la situation.
- Elle me tape quand je fais des bêtises. Elle est méchante avec moi mais pas
trop. Depuis que je suis chez Babette, mon faux papa il est gentil avec moi. Moi
j’aimerais aller dormir chez lui une fois.
- Babette elle m’a dit que si je le dis à quelqu’un, elle va me taper et si je
parle pas elle arrêtera. ( ?) C’est arrivé 6 fois car j’au 6 bleu. ( ?) Fessée, ou coup de pied
aux fesses, ou tirer les oreilles.
- Ce sera quel jour que je vais partir de chez Babette pour aller chez ma
sœur ? Comme ça je pourrai voir beaucoup mon petit frère. Ma sœur, elle dit que ça
serait bien car comme ça Babette me taperait plus.
Comme je lui explique que nous ne pouvons pas le laisser dans cette situation
dangereuse pour lui et que nous devons réfléchir à un accueil chez une autre assistante
familiale, Il reprend la parole.
- Mais c’est que si je fais des bêtises, et la j’en fais plus
Il souhaite rester chez Babette, ne veut pas que je parle avec elle de ses énonciations, et
est informé que je me dois d’en parler au docteur MAHIER qui est le directeur du
service d’accueil.
Une semaine plus tard, et conformément à l’organisation que nous nous étions donnés,
nous le recevons avec l’assistante familiale.
- Il y a des choses importantes que Babette veut dire.
- Anthony a fait la photo.
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- Moi j’ai envie de donner une photo à Babette et le reste à des personnes de ma
famille.
- Il fait bien ses devoirs. Il les copie et il me dit que à l’école il travail bien. Il n’y a
plus de rouge, il y a plus de vert et d’orange. Là il commence à faire attention à
ses fournitures scolaires.
Comment comprendre ce retour à la normal ? Sachant que par la suite aucune plainte
n’a été réitérée ni auprès de nous, ni auprès de sa sœur, de son beau père, de Madame
Langlois ?
Il me semble que plusieurs réponses coïncident avec cette question.
Parce que sa déclaration était peut-être plus destinée à sa sœur, en ce qu’elle
pouvait faire levier pour elle de démarche pour être reconnue tiers digne de confiance et
prendre ainsi pleinement une place de responsabilité auprès d’Anthony. « Ma sœur, elle
dit que ça serait bien car comme ça Babette me taperait plus. »
Parce que le cadre de la protection de sa personne lui a été rappelé et que son discourt à
été pris au sérieux, jusque dans l’expression de son sentiment de pouvoir gérer la
situation « c’est que si je fais des bêtises ».
Et parce qu’il a fait l’expérience à cette occasion du lien qui existe autour de lui, au
travers de cette chaîne crée par sa sœur, Madame LANGLOIS, les référents du service,
le docteur MAHIER, et l’assistante familiale. C'est-à-dire de quelqu’un du social, sa
sœur, qui pour l’instant n’occupe pas une place socialement repérer comme faisant
autorité légalement auprès de lui, active l’institution qui incarne pour l’heure cette
autorité afin que puisse se faire le lien avec le soin qui lui est proposé.
Nous savons que l’accueil familial est construit comme un espace transitionnel. Mais
c’est ici l’assistante familiale qui se fait objet transitionnel. Elle accompagne, permet
d’affronter la solitude, accepte d’être le support de jeu mettant en scène l’amour et de la
haine. Elle est tour à tour choyée, attaquée et à nouveau aimée, jusqu'à pouvoir être
laissée, désinvestie tel le doudou dont un jour l’enfant n’a plus besoin.
La séance de thérapie qui suit s’est déroulée en octobre dernier
Scène I : la crise
Anthony refuse de venir avec moi quand je viens le chercher dans la salle d’attente. Il se met à
courir en m’évitant, il monte à l’étage supérieur, se cache dans les bureaux. Je le suis
lentement, sans essayer de le maîtriser. Il est très excité et rigolard. Il semble prendre
beaucoup de plaisir à me voir l’attendre. Me fuyant, il se réfugie dans mon bureau et s’assoit
sur mon fauteuil (antérieurement, à plusieurs reprises, nous avions proposé un jeu d’inversion
des rôles).
Scène II : le retrait boudeur.
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Il me laisse mon fauteuil et s’assoit près de la caisse de jouets. Il met en scène des jeux avec
des petits personnages et des petits animaux qu’il joue à dévorer. Il verbalise son jeu mais ne
m’adresse pas la parole. Je reste silencieux pendant. Tout cela dure une dizaine de minutes.
Scène III : la reprise du contact
Il m’adresse la parole et me demande ce qu’est un trombone. Puis, il me demande quand il
pourra aller, en visite, chez sa grande sœur.
Scène IV : cause toujours
« Je vais te poser une question, mais je sais que tu vas dire non » me dit-il à trois reprises.
Me demande alors s’il peut utiliser l’ordinateur (ce qu’il faisait parfois lors des séances
précédentes).
Je réponds : « oui, si tu es capable de ne pas faire le fou »
A : « Je ne sais pas pourquoi je fais ça »
LM : « peut-être parce que tu es malheureux, mais comme tu ne sais pas le montrer en
pleurant, tu fais le fou. Peut-être es-tu encore plus comme ça depuis que ta mère est morte ? »
LM : je propose également qu’il y a des choses qu’il ne comprend pas et en particulier la
raison pour laquelle il est frappé par tant d’événements injustes : un père qui ne s’occupe pas
de lui, une mère qui meurt, Cette interprétation lui convient : « c’est vrai ce que tu viens de
dire ».
Scène V : les affaires reprennent
Anthony demande à changer de groupe. Il ne veut plus y aller. Je propose qu’il s’engage dans
un travail psycho-pédagogique, j’insiste sur le mot « travail ».
Il refuse et redevient boudeur « tu m’as mis en colère ! ». Se lève et va jouer, dit ne plus rien
vouloir entendre se bouche les oreilles.
Epilogue
Je remplis le carton de rendez-vous et fais, sans un mot, les photocopies destinées à sa
maîtresse et à l’assistante familiale. Je les lui tends, puis je lui tends la main pour lui dire au
revoir, toujours sans un mot.
Il comprend alors qu’il s’agit d’un jeu et veut alors ranger les jouets et feutres restés sur le
bureau avant de partir.
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Accueil Familial et psychopédagogie au CMPP de CREIL
Par Joëlle Baa
L’existence du service de Placement Familial au sein du CMPP de Creil
ne m’était pas inconnue Je connaissais son existence sans en avoir été
confrontée directement .
J’ai aussi connu l’existence d’Anthony avant même de partager avec lui
un travail de prise en charge direct
En effet Anthony « existe » au CMPP Il était parlé lors des
réunions d’équipe de l’Accueil Familial auxquelles je participais Mais aussi
lors des réunions cliniques du « parcours des enfants » et lors de rencontres
plus informelles entre cliniciens dans des lieux comme la cuisine ou les
couloirs .
Au cours d’une réunion clinique . Le consultant pose une indication de
psychopédagogie qu’il va proposer à Anthony lors de sa prochaine rencontre
.
Et je mets un visage sur le prénom de ce petit garçon alors qu’une
violente altercation l’oppose à une de mes collègues Une image de petit
garçon qui s’affronte à une jeune adulte .. Qui la frappe . Qui hurle
qui est tout colère et souffrance Qui ne peut entendre les paroles de
cette jeune femme qui essaie de mettre des mots sur ses actes, qui essaie
de rappeler le non passage à l’acte Qui essaie de le calmer En vain
.. !!!!!!
Je rencontre donc Anthony, petit garçon de 9 ans qui est scolarisé en
CE2, dans les semaines qui suivent et je pose le cadre de la prise en charge
psychopédagogique Dans ces séances les interdits posés sont : la non
destruction du matériel et la non agression physique de soi-même et de
l’autre L’utilisation des supports de travail comme l’ordinateur, le tableau,
les feuilles de papier et tous les outils scripteurs tout matériel étant dans
la salle de travail peut-être utilisé par Anthony
Il va utiliser plus particulièrement l’ordinateur, le tableau avec les
craies, et les livres de la bibliothèque des enfants du CMPP et les livres de
mon bureau
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Suite à un travail à partir d’une histoire « écoutée et lue » sur un cd
rom, je lui propose la création d’un livre retraçant cette histoire : « Ma
maîtresse est une sorcière » . L’objectif de ce travail étant de faire un
lien indirect avec le travail de sa classe où Anthony a de grandes difficultés
à accepter « l’enseignante partagée » avec les autres et où il pose des
difficultés d’adaptation relativement importantes.
A l’heure où j’écris ce texte nous en sommes à une quinzaine de
séances Le livre est presque terminé
Anthony a tout de suite mis en mot toutes les difficultés qu’il mettait
ensuite en actes « Je ne peux pas m’empêcher de bouger de ma chaise »
« c’est comme à l’école » Alors nous avons réfléchi ensemble sur le fait de
bouger tout le temps Comment pouvait-on écouter si on se levait toutes
les cinq secondes ? Et alors comment « on perdait le fil » de ce que l’on
était en train de faire .. Ce n’était pas un interdit, au cours de la
séance, de se lever toutes les cinq secondes mais comment pouvait il faire
pour « suivre le fil » de notre conversation, de la lecture et l’écoute de
l’histoire sur l’ordinateur ????? Je l’ai accompagné dans son interrogation et
nous avons partagé ensuite le clavier de l’ordinateur et le travail d’écriture
et de réécriture du livre Nous avons travaillé en « dictée à l’adulte »
j’étais très admirative du savoir d’Anthony pour le vocabulaire très approprié
aux contes Il parlait de « grimoire » et la structure des contes lui était
très familière En fin de séance il choisissait un livre de tout petit qui
parlait des sensations de « toucher-douceur » et maintenant il est capable
d’écouter une lecture de conte à épisodes Il peut différer son attente
Accepte plus une certaine frustration
Cela semble être un travail comme j’ai l’habitude de faire avec
les enfants Chaque séance est singulière comme avec chaque enfant
Avec Anthony j’ai commencé à m’interroger et éprouver un malaise quand il a
dans le déroulement de la séance abordé « les petites choses de la vie »
comme le font les enfants Un mot lui rappelait quand il était bébé A la
maison d’enfants Et puis il avait envie que l’assistante familiale lui lise un
conte comme je faisais en fin de séances et puis elle ne le faisait pas
« elle dit que je suis plus un bébé » « moi j’aurais envie qu’elle me lise une
histoire pour pouvoir m’endormir » et il était souvent dans la plainte Il
n’avait pas eu le temps de déjeuner et puis il avait mal à la tête et puis
finalement il a pu parler le conflit avec la jeune collègue et faire lien entre
sa colère à ce moment là (il ne peut aborder le terme de tristesse ) et le
fait qu’il ait appris à cet atelier le départ d’une stagiaire éducatrice
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Alors nous avons parlé de la réalité de ce départ De la souffrance quand
des personnes partent ailleurs Le droit de pleurer pour soulager « Pas
moi, dans ma famille les garçons ne pleurent pas » « Tu pleures toi ? Et tu
as déjà vu des garçons pleurer ?» ma réponse positive le laisse interrogateur
Et moi je me questionnais : je renvoie au consultant ????? Quelle est
la place des référents du PF ?????
Je savais qu’ils recevaient Anthony en entretien Anthony a une
histoire particulière avec beaucoup de souffrance et de deuil .
Les séances devaient l’amener à se construire mais comment faire lien
avec les autres .. Comment ne pas mélanger les places ?????? Enfin pour
moi ... Alors j’ai commencé à travailler avec les référents du placement
familial et avec le consultant . J’évoquais mes séances de travail avec
Anthony Ce qu’il disait quand il évoquait sa petite enfance, son lien
avec l’assistante familiale Ses interrogations quant à sa nouvelle vie au sein
de la famille de sa sœur et les places de chacun et puis finalement sa
mère qui existait pour lui par l’intermédiaire « des confitures de fraises
qu’elle avait faites et qui étaient bonnes jusqu’en 2008 » et un travail de
lien a pu commencer entre nous avec toute une élaboration autour de
l’enfant
Le consultant et les référents du placement familial m’apparaissent
comme les garants du cadre de vie physique mais surtout psychique
d’Anthony La parole recueillie et accueillie par eux fait exister ces
enveloppes autour d’Anthony autour du cadre que nous posons en tant que
cliniciens dans notre travail singulier avec cet enfant.
A mon avis le fait que le CMPP soit un lieu thérapeutique avec une
référence de psychothérapie institutionnelle ne me semble pas anodin au fait
que le placement familial soit une « enveloppe » permettant à cet enfant de
se construire dans le lien entre des intervenants diverses et nombreux qui le
prennent en charge Je ne peux m’empêcher de les comparer à la mère
suffisamment bonne de Winnicott5 Qui permet à son enfant de se
construire en lui permettant la rencontre avec l’extérieur tout en maintenant
5
Winniccott, jeu et réalité, Paris Gallimard 1971
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
un espace potentiel dans lequel il va pouvoir jouer sa créativité et devenir
autonome
Avant de conclure, nous poserons un dernier regard sur cette période d’accueil
familial en train de se terminer.
Suite à la décision du Juge
Par Julie Henon
Nous avons reçu Anthony suite à l’audience au tribunal où la sœur d’Anthony a été
nommé tiers digne de confiance. Ce nouveau statut et les responsabilités lui incombant, étant
effectif au 1° Juillet 2006.
Anthony sera reçu seul dans un premier temps puis avec l’assistante familiale.
Anthony dit être « très, très satisfait » de la décision du juge. Il ajoute même que c’est
ce qu’il attendait « je l’ai dit depuis le début que je voulais vivre chez ma sœur ».
Cet entretien nous permettra d’observer qu’Anthony a tout à fait mesuré ce qu’engage
ce nouveau statut dans sa vie. Le premier étant la modification de son accueil, à compter de
cette audience, il rentrera chez sa sœur tout les week end en attendant la date du 1 Juillet.
De même, Anthony définit le rôle de tiers digne de confiance, « c’est que ma sœur,
elle s’occupe de moi et prend toutes les décisions pour moi » et aussi « Bon, angélique, c’est
ma sœur et je suis son frère, mais quand elle achètera quelque chose à ma nièce et bien, elle
me l’achètera aussi, parce que c’est pareil ».
Effectivement, ce nouveau statut octroi des responsabilités parentales à Mme R. sans
être pour autant à une place de mère.
L’assistante familiale n’a pas occupé cette place, sa sœur ne l’occupera pas non plus,
Anthony peut continuer d’effectuer son travail de deuil.
Enfin, il évoquera les conséquences de cette décision au niveau de son accueil familial,
« on en a parlé avec ma sœur et elle a dit que j’irai chez l’assistante familiale les week end,
comme ma sœur elle a en ce moment ».
Le projet serait donc une inversion du temps d’accueil actuel.
Anthony vivrait chez sa sœur la semaine et serait accueilli chez l’assistante familiale le
week end afin de travailler progressivement sa sortie du service.
Nous finirons l’entretien en lui demandant si il a évoqué avec l’assistante familiale la
décision du juge et ces changements. Il nous répondra que non.
Alors qu’il n’a cessé de dire à l’assistante familiale pendant le déroulement de son
accueil qu’il allait vivre chez sa sœur, qu’il allait partir ; lorsque cela se présente, il s’avère
trop difficile pour lui de lui dire.
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
Dans un second temps, nous recevons donc l’assistante familiale et Anthony. Anthony
semble mal à l’aise et en attente de ce que nous allons dire et de comment va réagir
« Babette ».
Nous informons donc l’assistante familiale de la décision du juge et de ces
conséquences au niveau de l’accueil familial. Mme R. sera donc reçue par nous-même pour
décider ensemble de la suite du projet d’Accueil Familial ou non.
Même si cette annonce a été amené le plus délicatement possible, elle n’en reste pas
moins un choc pour l’assistante familiale qui répond assez vivement qu’elle aussi doit être
associée à la décision « parce que ça la concerne aussi ».
Même si la re-partielisation de l’accueil et sa fin était connue de tous depuis le départ
puisqu’elle est inévitable, cela n’en reste pas moins difficile à vivre pour eux deux.
Anthony fut très sensible à la réaction de l’assistante familiale.
Après cet entretien, nous prendrons régulièrement contact avec l’assistante familiale et
nous lui proposerons un entretien seul afin qu’elle sache que dans cette période de transition,
elle peut compter sur nous.
Rencontre entre les référents de l’Accueil Familial, Anthony et Mme R.
Quelques temps après, nous avons proposé à Anthony et à sa sœur un rendez-vous.
Anthony est arrivé en taxi au CMPP mais sa sœur n’est venue.
Nous avons donc décidé de maintenir un entretien avec Anthony.
Anthony a accepté de nous suivre dans le bureau mais une fois installé, il ne voulait
pas nous parler :
« Bon, bonne nuit »
« Vous n’avez qu’à parler entre vous »
« Moi, j’ai rien à dire donc vous n’avez rien à dire »
« Là, vous pouvez vous taire car je suis en train de faire un truc ».
Effectivement, Anthony était en train de nous montrer quelque chose.
Il a pris deux feuilles blanches qu’il a agrafé ensemble, tout le long de leurs bords.
Puis, il a essayé de retirer, une à une, les agrafes qui liées les deux feuilles.
« C’est dur ! Quelqu’un peut me le faire car je crois que je vais m’énerver ».
Cela nous a permis de reprendre la difficulté que l’on pouvait ressentir lorsqu’il faut se
séparer.
C’est difficile de séparer des choses qui ont beaucoup collés, comme lui et l’assistante
familiale.
Deux papiers agrafés restent difficile à dégrafer. Ce sur quoi, Anthony ajoute : « ça
prend des années et des années Surtout quand il y a mille feuilles collées, mille paquets de
feuilles collées ».
Nous avons donc répondu à Anthony qu’il est vrai que le travail de déccrochage prend
du temps et nous lui avons fait remarquer que ces deux feuilles, qu’il avait finalement réussit
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
à décoller, avaient des trous laissés par les agrafes Traces indélibiles, sorte de bons
souvenirs de quand elles étaient attachées.
N’est ce pas cela le plus important !?
A la fin de cet entretien, Anthony a décidé d’emporter avec lui les feuilles qui avait été
agrafé ensemble puis dégrafées.
Suite à cet entretien, nous avons contacté Mme R., celle-ci n’avait pas reçu le courrier
convenant de ce rendez-vous, nous avons donc repris une date.
CONCLUSION
A travers cette histoire, nous avons voulu montrer comment l’accueil d’un enfant
et la séparation d’avec son « milieu familial naturel » est quelque chose de
complexe, aussi complexe que les liens d’attachement mis en place dans sa propre
famille. Et ce d’autant que les sentiments de l’enfant, mais aussi de ses parents,
sont eux-mêmes marqués par l’ambivalence la plus forte. Eprouver de l’amour, et
a fortiori le montrer, est impossible et dangereux. On risque alors d’être à la
merci de l’autre : de sa violence, de son indifférence, de son rejet, de son
absence, de sa mort. L’agitation, la dérision, la fausse indifférence sont autant
d’enveloppes, ou plutôt de gangues, qui protègent contre le risque de blessure
affective.
Dans ces conditions, nous avons proposé une autre enveloppe qui ne puisse pas
donner l’illusion d’un amour de remplacement. Plutôt qu’une couverture, chaude,
bien tissée, mais risquant d’être étouffante, un filet à mailles lâches,
suffisamment élastique pour accepter que l’enfant puisse y tomber sans se
blesser, s’y mouvoir sans le déchirer, sans s’étouffer avec.
L’accueil familial n’est qu’une des mailles de ce filet, il ne peut avoir la prétention,
ni à lui seul, ni même prioritairement, de constituer l’essentiel des soins de
l’enfant. Il nous est apparu nécessaire d’inscrire ce mode de soin dans un réseau
plus complexe où pouvaient intervenir les acteurs du soin, les acteurs sociaux,
l’école, l’entourage familial.
A ce niveau, il nous semble important d’insister sur la dimension symbolique que
peut recouvrer ce mode de soins. A notre sens, Anthony, comme beaucoup
d’enfants malmenés par leur histoire familiale ne peuvent, par loyauté, admettre
l’absence ou la mauvaise qualité de leurs parents. Symétriquement, il leur est
inacceptable de constater que la société, qui leur renvoie systématiquement leur
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Ca commence par un E, ça finit par un E, avec une lettre à l’intérieur.
statut d’enfant, ne puisse pas leur désigner, nommément, celui ou celle qui devra
assurer la fonction parentale devenue vacante.
Ce travail de repérage, des places, des fonction, des personnes, est
indispensable à la définition d’un cadre suffisamment protecteur mais également
suffisamment ouvert pour que l’enfant puisse s’y mouvoir. C’est celui que nous
avons tenté de faire à travers, entre autres, notre service d’accueil familial.
Ah, au fait, l’énigme qui donne le titre « Ce qui commence par un « e », finit par
un « e », avec une lettre à l’intérieur », est une devinette qui nous a été posée
par Anthony lui-même au cours d’une de nos rencontres.
Vous avez trouvé la réponse ???