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6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 1
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
Alain BLANCHET1
Directeur de recherche à l’Université Paris 8
L’INTERACTION THERAPEUTIQUE
Résumé2 :
Les principes qui concourent à la bonne fin des psychothérapies sont encore mal connus alors
que les pratiques d’aide et de soutien psychologiques se sont considérablement développées au
cours du 20ème siècle. Cette méconnaissance peut s’expliquer par l’effet croisé de deux
facteurs :
1) les psychothérapies n’ont nul besoin d’accéder à la connaissance des processus
psychologiques qu’elles mettent en œuvre pour être efficaces
2) les modèles psychothérapeutiques postulent tous qu’une instance invisible mais active
explique l’état souffrant des patients.
En deux mots les psychothérapies contribuent par leur technique et leur modèle à obscurcir,
voir à cacher les structures des interactions, entre le thérapeute et le patient, qu’elles
instaurent. Seule une analyse pragmatique de la communication thérapeutique peut révéler ces
structures cachées et bien sûr des recherches sur les patterns temporels de ces interactions
doivent permettre d’étayer empiriquement ces analyses discursives.
Nous rappelons que toute psychothérapie procède de deux mécanismes fondamentaux :
1) la fabrication d’un lien entre le patient et son thérapeute
2) la mise en place de procédés de transmission.
Le lien s’établit par la construction d’une relation interpersonnelle forte fondée sur la
demande et l’espoir du patient auxquels répond l’attitude inattendue et énigmatique du
thérapeute. La transmission s’effectue d’une manière indirecte sur la scène théâtralisée de
l’interaction (cadre de la psychothérapie), par le développement de la conscience réflexive du
patient. Nous développons ainsi les notions de paradoxe thérapeutique, de cadre, de relance,
d’interprétation, d’invisible, de pouvoir et de transmission d’expertise. Nous illustrons ces
notions et ces processus par de nombreux exemples de dialogues enregistrés lors de séances
de psychothérapies d’obédience différentes. Nous plaidons pour que des recherches soit
développées en France par les équipes travaillant actuellement à l’évaluation des
psychothérapies.
1
Psychologue clinicien. Équipe de Recherche en Psychologie Clinique, Université Paris 8 ; 2, rue
de la Liberté 93526, SAINT DENIS Cedex 02
2
Vous trouverez ci-après l’intégralité des transparents projetés par M. Blanchet lors de son
intervention. Il nous signale par ailleurs la publication prochaine (courant 2004) d’un ouvrage
développant cette communication.
6ème congrès du GREPFA France, Annecy (15-16 mai 2003) 2
A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
LA PSYCHOTHÉRAPIE EST UN DISPOSITIF D’INFLUENCE
L’évaluation des effets des psychothérapies : un super placebo ?
Un effet expérimental faible (comparaison avec groupes contrôles)
Hans Eysenck dans deux études célèbres en 1952 puis en 1960 établit les résultats
suivants :
1. 2 patients sur 3 que l’on appelle « névrosés », montrent une rémission de leurs
symptômes en deux ans et en l’absence de traitement.
2. On observe une corrélation inverse entre la rémission et la psychothérapie
Un effet clinique important (enquêtes et études de cas) avec une certaine indifférenciation
des types de thérapies. (Lambert et Bergin, 1994)
Ce sont des facteurs indépendants des obédiences qui expliquent les améliorations ou
les détériorations observées. Par exemple l’expression chaleureuse du thérapeute, le type
d’alliance, la capacité autoréflexive du thérapeute, l’espoir de guérir du patient, etc.
Les psychothérapies sont-elles des pratiques sociales anciennes, traditionnelles,
«relookées» à la mode occidentale ou bien sont-elles d’authentiques techniques
modernes fondées sur des principes psychologiques nouveaux et explicitables ? Si
cette dernière proposition est vraie, alors comment peut-on expliquer que les quelques
350 types de psychothérapie recensés dans le monde proposent des théories
psychopathologiques et des modus operandi différents voire contradictoires.
Question complexe a laquelle nous souhaitons donner des éléments de réponse en
décrivant les processus thérapeutiques et en nous referant a des recherches
diverses effectuées dans ce domaine : ethnopsychiatrie, pragmatique de la
communication, études cliniques.
Une psychothérapie est une conversation très spéciale
Il s’agit, en effet, par ce biais de l’échange verbal, d’optimiser certains effets psychologiques
produits spontanément dans des conversations banales.
L’enjeu de ce type de pratique est le changement de l’état mental du patient et
conséquemment de son ajustement au monde.
Les formes de l’interaction sont diverses : shamanisme, guérison, divination, maraboutage,
exorcisme, hypnose, psychothérapies (psychanalytique, émotionnelle, humaniste, corporelle,
cognitivo-comportementale, systémique, etc.)
Les ingrédients du système thérapeutique surdéterminent la chimie de l’interaction, ce sont :
1. L’usage spécifique d’un langage du thérapeute à l’égard de son patient
2. L’instauration d’un lien affectif entre le thérapeute et le patient
3. L’établissement d’une croyance (partagée) à des entités cachées
4. La transmission d’un pouvoir qui modifie les croyances et l’identité du patient
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A. Blanchet. L’interaction thérapeutique
L’interaction verbale semble banale, conversationnelle.
En fait, les psychothérapeutes travaillent sur les matériaux discursifs du patient, ils
commentent et indirectement ils mettent en question : ils savent
Patient : j'ai l'impression de de vivre quelque part et en même temps j'ai l'impression que
j'étais mort un certain temps quoi ; vous voyez c'est-à-dire
Clinicien : Mort
Patient : oui oui mort parce que je ne vivais pas ; ça n'était pas moi qui vivait ; je vivais à
travers l'héroïne quoi ; ça n'était pas moi qui m'exprimait quoi.
Clinicien : Vous dites mort ; vous ne dites pas en hibernation
Patient : Non , je ne peux pas dire que j'étais en hibernation parce que quelque part à travers
l'héroïne , j'ai recherché une certaine mort aussi .
Clinicien : Vous croyez
Patient : ben oui , quelque part , c'était je ...
Clinicien : Vous avez pensé ça
Patient : Ben oui c'était quelque part de l'autodestruction quoi ; au départ , c'était ....
Clinicien: Vous pensez ça réellement
Patient : ben oui , franchement , oui , franchement oui ; et puis bon au départ l'héroïne me
permettait un certain bien-être , une certaine façon de m'exprimer.
Clinicien : Alors
Patient : Et à la suite elle me dérangeait quoi
Clinicien : La destruction si
Patient : oui non mais par la suite , par la suite , j'ai trouvé que l'héroïne m'amenait à la
destruction. Je ne la supportais plus ; je la vivais mal en moi , elle me dérangeait quoi hein
mais malheureusement j'avais besoin d'elle pour être .
Clinicien : Pour être
Patient : oui , pour être et en même temps je paraissais.
Le lien
Il s’établit par une représentation interne de l’autre (le thérapeute ou le patient) dont
la valeur positive ou négative peut varier en intensité.
Un lien positif est décrit comme « intérêt, attachement, affiliation, parentalisation,
transfert, idéalisation, etc. »
Un lien négatif est décrit comme « défense, transfert négatif, résistance, passage à
l’acte, etc. »
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FABRICATION D’UN LIEN
1. La fabrication et la maintenance d’un lieu de croyance, de crédibilité (voire
de foi ou de crédulité).
Ce premier élément est d’ordre anthropologique et social. Il est déterminant. Il définit
le statut social particulier du psychothérapeute ainsi que l’ordre de crédibilité des
modèles qu’il utilise.
Souvent, l’usager perçoit le thérapeute comme susceptible de voir et penser ce que lui
même (patient) ne peut ni voir ni penser.
Le thérapeute est donc affecté de dons surnaturels dans certaines cultures
(divination, relation avec les ancêtres, etc.) ou de savoirs énigmatiques (en particulier
savoirs sur les autres et sur eux-mêmes) dans des cultures plus proches.
2. La construction d’une relation interpersonnelle forte, fondée sur la
demande et l’espoir du patient.
Cette relation particulière au thérapeute s’instaure avec un phénomène que l’on a
appelé « Alliance » ou encore « Transfert » selon le modèle thérapeutique choisi.
Une partie de la capacité à se penser soi-même est ainsi dérivée sur la personne du
thérapeute. Aux yeux du patient, ces pouvoirs confèrent au thérapeute un statut
idéalisé qui instaure un lieu d’affiliation.
L’invisible
Les psychothérapies, traditionnelles et occidentales partagent le même modèle
psychopathologique.
La souffrance psychique du sujet est la conséquence d’une conscience diminuée.
Cette état est attribué à la présence d’un invisible qui hante le sujet.
Cet invisible réduit à néant les efforts que ce dernier fait pour lutter contre ses
symptômes
La plupart des modèles thérapeutiques supposent tous que le « mal être » des patients peut
être expliqué par la présence sournoise d’un « invisible ».
Cet invisible commande « momentanément ou en permanence » une partie des pensées,
sentiments ou comportements du patient.
Cette croyance sera communiquée au patient qui l’intégrera comme étant vraie parce que
cette croyance correspond à son expérience dans la thérapie.
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Il s’agit selon les modèles et les obédiences de :
Djin
Système de communication familiale
Inconscient
Schéma dépressogène
Cuirasse corporelle
Ancêtre
Emotion réprimée
Souvenir enseveli, etc.
La transmission
Elle rend compte d’un effet d’influence et de modification du patient voire du
thérapeute.
Cette transmission s’effectue pour l’essentiel par apprentissage implicite3.
« Il n’y a pas d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la
liberté ». (J.J. Rousseau, l’Emile)
LA PSYCHOTHÉRAPIE POURSUIT UN BUT PARADOXAL
Le paradoxe thérapeutique
Les psychothérapies poursuivent un but paradoxal qui consiste à vouloir modifier la
pensée du patient de sorte qu’il gagne en autonomie.
Ce faisant elles se distinguent des sectes ou des groupes d’affiliation qui au contraire
tendent à maintenir la dépendance du patient au maître, au dogme ou au groupe
restreint.
Nous pourrions résumer ce paradoxe par la formule suivante :
Comment aider quelqu’un à ne plus avoir besoin d’aide ? »
3
Rappelons que l’apprentissage implicite renvoie au fait que le sujet est amené à ne pas établir consciemment de liens
entre l’apprentissage qu’il a subit et le comportement qu’il adopte dans une situation donnée.
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LES THÉRAPEUTES TRANSMETTENT UN POUVOIR AU PATIENT
Le pouvoir transmis
Pour résoudre ce paradoxe thérapeutique, nul besoin de magie, la recette est connue
depuis la nuit des temps : « Au paysan qui a faim, ne lui donne pas de riz, apprend lui à
planter le riz ! »
Ainsi plutôt que de transmettre un savoir, un conseil, un contenu ou un dogme, le
thérapeute transmet un pouvoir, c’est-à-dire une capacité à penser l’autre et donc à se
penser.
Ce qui est transmis du thérapeute au patient n’est autre qu’une expertise, une façon de
penser un ordre, c’est-à-dire une cohérence susceptible de rendre compte du monde.
L’initiation, la conversion et le soin
Les thérapeutes traditionnels transmettent une fonction cosmogonique : celle de pouvoir
incarner la pensée du groupe, des ancêtres et des esprits. Cette transmission modifie l’être
social, elle conduit à une forme majeure d’initiation.
Les thérapeutes religieux transmettent une capacité d’intégrer le texte religieux : celle de
pouvoir incarner une parole sacré, d’en assurer la crédibilité, de pouvoir la déployer dans
l’univers profane et politique. Elle conduit à une forme majeure de conversion.
Les thérapeutes modernes transmettent une capacité de comprendre le fonctionnement de
l’esprit : celle de rendre cohérent sa pensée avec l’expérience du monde profane. Elle conduit
à une forme majeure d’autoréflexion.
En conclusion
L’interaction thérapeutique a pris des formes qui ont évolué au cours de l’histoire, mais
l’ancrage de la tradition reste prégnant dans les thérapies modernes. Ces thérapies
ont substitué à la figure du sorcier ou du prêtre, la figure avenante d’un scientifique
de l’âme.
Pourtant il reste de large zones d’ombre dans ces techniques et dans les théories
censées les valider. La psychothérapie reste encore un art et non l’application d’une
technique scientifique.
Pourquoi s’en plaindre ? Après tout une activité poétique vaut bien une activité
scientifique. Mais alors, ne nions pas ses composantes initiatiques et d’affiliation
groupale.
Sinon, et c’est ce que nous souhaitons pour que les techniques progressent, pour que
les personnes en bénéficient davantage et pour que la formation ait un statut
universitaire, développons la recherche en France sur les psychothérapies
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